J’ai quelques difficultés à me souvenir des détails, si ce n’est le regard chaleureux d’un ami de la Bobine dans l’aube naissante d’un jour de zbeul, lorsqu’il m’a proposé de jouer là-bas lors de la fête de la musique. Je lui ai expliqué, que même si j’appréciais son intention, je boycotte cette triste fête depuis des années, principalement, car ce devrait être tous les jours la fête de la musique. Mais rapidement, j’ai ajouté, que j’aime faire des exceptions. C’est à ça que l’on reconnaît des personnalités chaotiques, à cette versatilité certaine, qui va de pair avec la subversion. Et de plus, je ne suis pas du genre à claquer une porte sur une main tendue. Ensuite, comme il avait besoin d’une réponse rapidement, je lui ai donné mon accord, en précisant, que si mes comparses ne me suivaient pas dans cette échappée belle hors du confort de l’obscurité propre aux musiques souterraines, au pire, je jouerais solo. Il faut dire, que ce n’est pas souvent, qu’il y a des configurations propices pour jouer live. Et là, celle-ci semblait idéale... En réalité, ce fut un peu plus compliqué.
Je vais essayer de résumer au mieux ce qui a suivi. Un peu plus tard, il m’a dit qu’il fallait contacter la mairie en expliquant qu’on voulait jouer devant la Bobine. Quand je l’ai fait la personne m’a demandé de compléter un dossier. Par exemple, demandant de mentionner ce dont on avait besoin, tout en précisant qu’en gros, rien ne serait fourni par la ville à part l’électricité. C’est là, que je me suis souvenu de l’autre raison de mon boycott, les municipalités et leur fâcheuse tendance à rendre tout compliqué, tout en se faisant mousser sur le dos des artistes. Aurais-je dû être surpris, quand après avoir renvoyé le dossier, j’ai reçu un email automatique disant que le correspondant serait absent jusqu’au 8 septembre ? En réalité, c’était juste une malencontreuse erreur de configuration de sa messagerie. Aurais-je dû être surpris ? Quand dans le message suivant, il m’a appris que cette année ce ne serait pas possible pour les groupes de jouer là, des travaux occupaient l’emplacement de la scène, qu’il fallait donc nous dispatcher sur les autres scènes... Pourtant, le jour « J » les travaux n’étaient plus là, mais ce n’est qu'un détail. Entre-temps, l’ami m’a recontacté pour m’annoncer que tous les groupes prévus pour la scène de la Bobine joueraient sur celle du Ouiii festival au cours Saint-Maurice… sauf nous. Ceci dit, j’aurais pu insister pour qu’on nous fasse une place, mais comme le responsable de la mairie m’avait dit que cela ne poserait pas de souci, j’ai préféré m’adapter. Aurais-je dû être surpris ? Quand n’ayant pas de nouvelles un peu plus d’une semaine avant, j’ai fini par recontacter ce responsable pour apprendre, qu’en raison d’un nombre de demandes très élevé, il avait le regret de nous informer que nous n’aurions pas d’emplacement. Tout en précisant que nous pouvions toujours essayer de contacter le bar culturel Au Détour, car il cherchait des groupes. Tout en omettant de dire, que le programmateur du bar les avaient contactés bien longtemps avant et qu’eux ne lui renvoyaient des groupes que quelques jours avant la clôture du programme de la fête de la musique.
Ah oui, pourquoi je te raconte tout ça ? Parce que c’est pour le moins surprenant, quand tu rechignes à faire des concerts, parce que tu n’aimes pas être sous les feux de la rampe, que tu acceptes pour en faire un à la Bobine et que tu te retrouves à Au Détour après un sacré parcours du combattant... Et surtout pour te donner un aperçu, de ce que c’est que d’essayer d’exister quand tu fais de la musique hors norme gratuite. Le parallèle avec la place du handicap dans la société n’est pas fortuit. Heureusement, cette étrange aventure, grâce au programmateur du détour, s’est bien terminée, non seulement, nous avons joué à la fête de la musique, et aussi, nous avons poursuivi dans la foulée avec un autre concert au Festipol. Celui-ci était organisé par l’Union Écologique et Sociale, en théorie, j’évite de mêler la politique avec mes activités artistiques, sauf que ce serait être bien naïf de croire que jouer pour une mairie de droite à la fête de la zic n’est pas politique. Alors si notre participation est prise comme soutient et que cela puisse aider à faire élire une ou un maire de sensibilité écolo et de gauche, c’est bien le moins pire qui pourrait arriver à cette bonne vieille ville de Dole. Bref, l’expérience en valait la peine, dans ces deux lieux, nous avons été très bien accueillis avec nos singularités, entre autres, des sets audio visuels de plus d’une heure où l’improvisation primait. Celui d’Au Détour était un peu plus osé, un étrange cinemix des mystères de l’organisme, un film yougoslave improbable du début des années 70, basé sur les travaux de Wilhelm Reich.
Celui du Festipol sur le thème de l’eau, tout en étant plus sage, basé sur un remix de certains films de mon alter ego Ed End, n’en était pas moins extrêmement étrange avec son introduction par un deepfake de Bruce Lee jouant au ping-pong avec des nunchakus.
Le seul B mol a été de jouer, à chaque fois, après le même groupe de reprises, qui, tout en étant fort sympathique, présentait un best of du meilleur des années 90, juste avant que nous débarquions sur scène avec nos créations inclassables. En définitive, si cela fait sens de jouer live, c’est surtout, car chaque fois qu'il y a des performances de musiques hors normes, cela participe à l’éducation du public. Tout l’inverse du choix dommageable de ne faire jouer sur les scènes du cours quasiment que des tributes et autres groupes de reprises faisandées : prise de risque zéro et dégat maximum ! Alors que ce qui est subventionné devrait être à l’opposé. Je développerai cela dans mon prochain article, qui explicitera aussi le curieux titre de cet article. C’est à force de persévérance, qu’une scène réellement originale peut exister, comme cela s'est passé à Nancy, où, génération après génération, des musiques de toutes sortes ont poussé les frontières, jusqu’à donner naissance au Nancy Blast Frustration festival. Il suffit qu’une personne ait assisté à un de ces concerts pour susciter l’envie de créer quelque chose de différent. Je reviens sur ce point, car ça me semble fondamental, une culture locale ne peux exister sans un peu de courage de la part des différents lieux culturels. Je ne suis pas rentré dans les détails, mais quand j’ai écrit un email à Alex le programmateur d’Au Détour, j’ai quand même mentionné en sujet « la défaite de la musique », ce qui ne nous a pas empêché de sympathiser ensuite, ce qui coulait de source vu que nous sommes passionnés tous deux par la musique et le ciné, d’ailleurs, il anime un blog cinéma. En nous acceptant, il a engagé sa responsabilité, pareil pour les gérants, en acceptant de faire jouer de la musique expérimentale dans leur bar, cela veut dire que des tables peuvent se vider. Sauf que les personnes qui partent, avec le temps, seront remplacées par d’autres plus ouvertes d’esprit et je pense qu’ils y gagnent au change. Dans tous les cas, c’est défendre une idée de la société, où il y a de la place pour toutes et tous. Idem pour le Festipol, à l’origine, cela aurait pu n’être qu’une fête privée et faire le choix de l’ouvrir au public et d’accueillir des groupes locaux, même s’ils ne sont pas consensuels, c’est ne pas avoir froid aux yeux et croire que la société peu changer, si on fait des choix qui vont dans ce sens.
L’illustration est une capture de l’extrait vidéo du concert du 21 juin 2023.
Pour la petite histoire dans le groupe REfugEEs From Beyond nous sommes tous des esquintés de la vie, exemple le MC Psyché Pelik ne supporte ni d’être filmé, ni d’être photographié, c’était donc un sacré challenge de se produire en concert, il l’a résolu en portant un masque.
À propos de l'auteur(e) :
Robot Meyrat
Éternel débutant, Chercheur de singularités, Créateur de chimères, Expérimentateur d’inédits. Inscrit dès la naissance à l’école de la Vie. Il m’arrive d’être drôle à mon insu. Je suis mon chemin. Résister au courant principal jusqu’à la Mort et au-delà.
Oracle Non-Apophantique