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En direct… ou presque… de Gaza

Publié le 26/05/2024 à 08:36 | Écrit par Christophe Martin | Temps de lecture : 04m56s

Christophe Oberlin est chirurgien et depuis 2001, il se rendait trois fois par an à Gaza pour opérer des victimes de la guerre, handicapées par des blessures et des amputations. C’est donc en toute logique que dans son documentaire « Yallah Gaza », Roland Nurier le fait figurer sur la liste des personnes interviewées. Le festival Palestine au Coeur l’avait diffusé le vendredi 13 octobre 2023, six jours après le premier massacre, l’ambiance était carrément tendue, l’ambassadrice palestinienne n’était pas venue, l’expo photos était restée à la MJC. 

C’est donc une excellente idée du Réseau pour une Paix juste au Proche-Orient et de la MJC de reprogrammer le film d’autant que Christophe Oberlin a accepté de venir le revoir à Dole avec nous. « Je l’avais vu en avant-première presqu’un an avant sa sortie et puis j’ai animé le débat dans près d’une demi-douzaine d’endroits où il a été projeté. » On peut donc présager que, comme à nous, « Yalla Gaza » lui a plu et qu’il en partage l’esprit: « Ce film correspond à 1000% (sic) à l’idée que je me faisais des Gazaouis. » Roland Nurier a su capter l’extraordinaire vigueur des Palestiniens de Gaza: les scènes avec les amputés qui jouent au football ou plongent dans la mer prennent aux tripes. 

On reproche parfois à Christophe Oberlin de dresser un portrait trop idyllique des Gazaouis mais il se défend d’embellir des choses. Il a rencontré des « gens hautement éduqués », « des femmes formidables » et « des filles qui ont la niaque ». « Quand on montre un film pareil, il n’y a pas après de questions suspicieuses sur la condition des femmes par exemple. » 

En revanche, le chirurgien tient à insister sur un aspect dont ne traite pas le film. « Et pour moi, c’est un aspect important : à Gaza en particulier qui est en état de siège depuis des dizaines d’années, puisqu’il ne date pas de 2006 mais a commencé sous un mode moins violent depuis 2000 pratiquement,   la société palestinienne est une société religieuse, les gens pratiquent, les mosquées sont pleines. Alors, ça n’apparait pas du tout, ou très peu, dans le film mais c’est aussi un aspect dont il faut tenir compte et c’est là où les occidentaux coincent: je passe mon temps à relever, tous les jours et puis aujourd’hui surtout, des stéréotypes racistes qui sont véhiculés dans les médias jusqu’au plus haut niveau, et ça, c’est un énorme problème parce que l’occident dominateur va mettre beaucoup de temps avant de se débarrasser de tous ses préjugés racistes contre la religion. Ce qui fait que ce film est très bien accepté, c’est qu’il est très bien fait, c’est du témoignage brut de personnes vivantes mais je dirais qu’il y a encore du travail à faire pour que les occidentaux acceptent par exemple qu’il y ait des élections en Palestine. Il y a encore un tort et notamment chez ceux qui soutiennent honnêtement les Palestiniens, c’est ce « oui mais pas le Hamas » par exemple, ce qui est une absurdité parce qu’il y a plein de gens qui votent Hamas, qui n’ont pas l’idéologie du Hamas et qui votent simplement pour des gens qui administrent Gaza dans des conditions extrêmement difficiles, les hôpitaux, les universités, les écoles, les routes, tout tout, tout, et ça, c’est extrêmement difficile et qui, d’autre part, n’ont pas céder aux injonctions israéliennes. Ce film est un film magnifique pour les gens qui n’aiment pas la « politique ». A chaque fois que je sors d’une séance, je suis chamboulé. » Dans le public, on risque bien de l’être également non pas tant à cause du film lui-même mais parce que Christophe Oberlin a un point de vue très personnel, définitivement non aligné, et qu’il n’a nulle crainte à l’exposer. Reste qu’on peut aussi ne pas partager sa vision des choses et c’est justement l’intérêt d’une telle soirée.

Pour finir le petit entretien téléphonique que j’ai eu avec lui, je lui ai demandé s’il avait des nouvelles de Gaza: je m’attendais à tout sauf à ça: « Bien sûr parce qu’autant il y a quinze ans, il n’y avait aucune communication téléphonique possible, ça coûtait une fortune pour deux minutes. En gros, j’avais des nouvelles, trois fois par an, en y allant sur place, en parlant directement avec les gens. Maintenant avec WhatsApp et surtout les WhatsApp audio, vous pouvez avoir des nouvelles de n’importe qui n’importe quand, sauf dans les périodes où les téléphones ne peuvent pas être rechargés, ce qui finalement a été une toute petite période depuis sept mois. Quand ça a commencé à couper, je me suis dit : ça y est, c’est la catastrophe, on n’aura plus aucune nouvelle, ça va être un génocide à huis-clos et en fait, ils se sont toujours débrouillé. Je crois qu’une bonne partie de l’image d’arabes retardés est tombée parce qu’on a vu qu’ils étaient capables de développer les meilleures technologies pour s’adapter, y compris face à une armée extrêmement puissante, et donc on ne se moquera plus des Palestiniens, c’est déjà une chose, je crois qu’il n’y a pas eu plus d’une dizaine d’heures où Internet a été coupé et où la communication était impossible, et cela depuis des semaines et des semaines. Téléphoner parfois, ce n’est pas bon du tout: il y a des interférences quand on parle. Par contre les WhatsApp audio sont de la même qualité que la communication qu’on a en ce moment et c’est comme ça que j’ai des bilans, des nouvelles… autrement dit les journalistes n’ont aucune excuse, et je parle des grands médias, en disant : Israël ne laisse pas entrer de journalistes, on n’est pas en mesure de … ça, c’est vraiment un argument du siècle dernier parce qu’à tout moment n’importe qui peut communiquer avec quelqu’un d’identifié. Il n’y a rien qui m’irrite plus que d’entendre au téléphone: Est-ce que que vous avez les coordonnées d’un médecin de MSF qui pourrait témoigner? Je leur dis: Mais attendez, vous avez 2000 médecins à Gaza, ils sont tous formés en anglais, je vous passe des numéros de téléphone. Vous voulez avoir des chirurgiens? Je vous en envoie à la pelle et puis vous pourrez leur poser des questions. L’époque a changé. » Soirée passionnante en perspective.

« Yallah Gaza », film et débat, le Majestic, mardi 28 mai, 20h00, tarifs habituels.




À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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