Écologie

Les pesticides tuent

Publié le 05/07/2024 à 18:02 | Écrit par Nicolas Gomet | Temps de lecture : 03m07s

Les réseaux sociaux professionnels sont plutôt lisses. Leurs membres mettent en avant leurs activités et évitent les sujets qui pourraient mécontenter d’éventuels clients ou recruteurs. Alors, on n’est forcément pas habitué à lire des titres et des hashtags du type « Avez-vous envie d’avoir votre organisme envahi par les phytosanitaires ? #phytosanitaires #l'hypocrisie ne vient pas pas que des #agriculteurs  », surtout venant d’une employée d’une antenne régionale du Ministère de l’agriculture. Voici la suite du texte de Marie-France, habitante du nord Jura  : 

Moi NON.

Pourtant je meurs d’un glioblastome stade terminal 4 depuis 22 mois. Mais j’ai de la chance la médiane de survie est à 15 mois  ! Je suis en soins palliatifs ! Au bout de 5 ans au niveau mondial, il reste 5 % des patients. De tels statistiques sont faciles à retenir, ne trouvez-vous pas ?

Le paradoxe est que depuis 30 ans je travaille pour le compte du Ministère de l'environnement, spécialisée dans le domaine de l’eau  ! Tant d'engagement de mobilisation pour ça !

A l’annonce du diagnostic, le spécialiste, le seul de ma région, m’a annoncé  : «  C’est curieux vous n’êtes pas agricultrice. L’extrême majorité de mes patients sont des agriculteurs, je déclare à la MSA qui est dans le déni ». J’ai répondu  : « Non mais je réside dans une commune où l’eau est hors norme EU mais n’agit pas plus  » !

J’écris ce post le matin tôt, quand vous ne souhaitez pas de sucre dans votre café alors vous évitez d’en mettre et de remuer car vous savez très bien qu’une fois mélangé vous ne pourrez le retirer ! Pour les phytho c’est pareil. Pourquoi tant d’hypocrisie et d’inaction ???

Trois mois plus tard, l’auteure de ce texte est décédée. 

La phrase de l’oncologue fait froid dans le dos. En plus de la maladie de Parkinson, des cancers sont reconnus maladies professionnelles des utilisateurs de pesticides : prostate et cellules sanguines. Ce n’est pas le cas des tumeurs cérébrales. Reconnaître des maladies professionnelles est une mesure juste, mais elle a un coût que ne sont pas prêts à payer certains, surtout si cela revient à pointer du doigt leur modèle de production*. À défaut, c’est parfois la justice qui fait avancer cette reconnaissance : un tribunal breton a récemment reconnu le lien entre un glioblastome et l’utilisation des pesticides d’un agriculteur décédé. Il y a eu d’autres jugements rendus dans ce sens. Combien en faudra-t-il (et combien de morts?) pour reconnaître chacune des maladies professionnelles que les pesticides pourraient provoquer ?

Les agriculteurs sont effectivement les premières victimes des pesticides. Ces molécules, ou leur résidus, se retrouvent dans l’air, la terre et finissent dans l’eau. Elles concernent alors tout le monde. Dans le Finistère, 66  % des prélèvement d’eau potable n’étaient pas conformes en 2022 à cause du taux d’un métabolite (produit de dégradation d’un pesticide), l’ESA métolachore. À l’échelle de la France, c’est 17  % des prélèvements qui n’étaient pas conformes. C’est ce même métabolite qui se retrouve régulièrement dans les analyses de l’eau distribuée dans la commune de Marie-France, et auquel elle fait probablement allusion. Quant à la norme, celle-ci a été multiplié par 9, faisant disparaître 98  % des non-conformités en France, sans que la composition de l’eau ait changé. Dans cette commune du nord Jura, comme dans d’autres, on trouve aussi dans l’eau, au gré des analyses,  des métabolites d’atrazine qui est un pesticide interdit depuis 2003. Combien de temps encore faudra-t-il pour voire disparaître les métabolites de métolachlore après son interdiction ? 

Certains des collègues de Marie-France ont promis de continuer d’agir pour la qualité de l’eau. 

Nicolas Gomet.

*la FNSEA a plaidé pour les critères les plus restrictifs pour la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle. Plusieurs années auparavant, le syndicat s’est opposé à l’inscription de la maladie de Parkinson et des lymphomes comme maladies professionnelles liées à l’utilisation des pesticides. 

(NDLR: le suppléant de Justine Gruet, Étienne Rougeaux, directeur de la FDSEA 39, serait bien inspiré d’en parler avec ceux dont il défend soi-disant les intérêts.)




À propos de l'auteur(e) :

Nicolas Gomet

Scientifique polyvalent et explorateur des institutions locales.


Élu écologiste au conseil municipal de Dole

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