Politique

“Quand c’est fini, n-i-, ni ni, ça recommence ”

Publié le 28/08/2024 à 18:40 | Écrit par Stéphane Haslé | Temps de lecture : 05m10s

Louis voit, dans les résultats des élections européennes et législatives, l’échec sans appel du macronisme. Son échec en tant que projet politicien, c’est-à-dire la tentative pour imposer une troisième voie qui serait en même temps droite et gauche ou, si l’on préfère, qui ne serait ni l’une, ni l’autre. Derrière cette neutralisation des différences, il s’agissait de faire comme si la vie sociale pouvait se développer par elle-même, naturellement. Dans cette perspective, il fallait dénoncer les objectifs politiques proposés depuis deux cents ans par la droite et la gauche, objectifs qui n’avaient plus de raisons d’être, parce qu’ils étaient dépassés, archaïques, de vieilles lunes renvoyant à un temps clos. En réalité, l’intention était de libérer l’espace au néolibéralisme, de permettre au capital d’imposer ses logiques et ses normes comme si elles étaient la traduction du mouvement interne, inéluctable et nécessaire des sociétés modernes. À quoi bon faire de la politique, s’inscrire dans l’opposition droite/gauche, quand les mécanismes du social et de l’économie produisent spontanément un ordre et une harmonie ? Ce qui signifie : un ordre et une harmonie propices au développement sans frein du marché. Peu à peu, les masques sont tombés et le macronisme a révélé sa véritable finalité : faire en sorte que rien ne change à l’ordre du monde et, de ce fait, perpétuer la soumission des classes exploitées à la loi du profit sans limites.

Résumons la lecture macronienne du politique : L’opposition droite/gauche, même fortement édulcorée, conserve des traces du vieux concept de lutte des classes. La droite représente ceux qui visent la continuation du système capitaliste, parce qu’ils en profitent, directement ou indirectement, avec, en conséquence, l’exploitation de la majorité par une minorité. La gauche incarne ceux qui veulent, à plus ou moins long terme - vieux débat entre réforme et révolution - rompre avec le capitalisme. Selon Macron, cette antinomie est dépassée, dans les faits d’abord, rien ne s’oppose plus à la loi du profit, il importe désormais de l’inscrire dans les consciences, ce que vise (visait) la théorie du « en même temps ».

La volonté de trouver un consensus pour gouverner les sociétés n’est évidemment pas une invention de Macron, l’idée accompagne le développement de la démocratie dans l’histoire contemporaine. Jadis, le pouvoir politique appartenait à une classe particulière, aristocratie ou noblesse, il était la propriété de ces castes et nul homme, ou nul groupe social, extérieur à celles-ci, ne pouvait prétendre gouverner. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, avec le mouvement ouvrier, relayé philosophiquement par les théories socialiste et communiste, cette conception fut remise en cause et apparut l’espoir d’une redistribution des fonctions de pouvoir. Le peuple devint le cœur de l’action politique. En démocratie, c’est en son nom que le pouvoir s’exerce et c’est pour lui qu’il est organisé.

La démocratie parlementaire, ou libérale, est la forme politique dominante aujourd’hui. En France, la crise qui l’ébranle en révèle les limites et les leurres. Face à la poussée importante du Rassemblement National, réapparaît l’idée d’un gouvernement du centre, composé de celles et ceux qui acceptent les fameuses « valeurs républicaines » - jamais clairement définies -, valeurs qui constitueraient le plus petit dénominateur commun de cette possible alliance. De cette alliance seraient exclues « les extrêmes », en l’occurrence, RN et LFI. Or, et quoi qu’on pense par ailleurs, le peuple est bien ce qui fait le succès de ces deux formations « extrémistes ». Certes, on rétorquera que le peuple est aussi ce qui assure les voix de toutes les autres formations en compétition lors de ces élections. Attal et Macron peuvent parfaitement se présenter comme les élus du peuple. Nous voyons là comment fonctionne le leurre de la démocratie parlementaire, ou libérale, ou bourgeoise. Dans ce contexte, le peuple, c’est l’ensemble des électeurs, ni plus, ni moins. La démocratie moderne s’est constituée autour du suffrage universel et ses formes, ses institutions, sont devenues le passage obligé de l’action politique, ses vaches sacrées. Cependant, historiquement, le peuple, à partir de la Révolution de 1789, par exemple chez Hugo ou chez Marx (même si ce dernier n’emploie guère ce terme), désigne l’ensemble des exploités, de ceux qui subissent les effets mortifères du système capitaliste, de ceux qui luttent pour renverser ce système, au besoin par une révolution. La forme parlementaire de la démocratie a réussi à neutraliser cet objectif radical et la démocratie est devenue un système de préservation du capitalisme, que l’on peut améliorer à la marge mais qu’il importe de ne pas transformer, puisque cela impliquerait de renverser les sacro-saintes institutions. La boucle est bouclée : les institutions démocratiques, qui expriment un certain rapport de forces entre les classes sociales, rapport nécessairement ponctuel, appelé à être dépassé, sont présentées, par les forces conservatrices de tout poil, comme la traduction éternelle de la vie politique. On feint d’oublier qu’elles ne sont là que pour pérenniser un moment de l’évolution historique, et un moment favorable aux classes dominantes. Quand on appelle tous les « démocrates » et « républicains » à la sauvegarde des dites institutions, on veut rassembler tous ceux qui acceptent le système capitaliste et qui, au final, ne veulent surtout pas rendre le pouvoir réel au peuple, à tous ceux qui n’ont aucun pouvoir sur le développement de la société dont ils sont membres, qui ne font que subir les effets de décisions dont ils sont exclus. 

Les gens qui votent pour le RN montrent, par ce moyen, combien ils n’en peuvent plus d’un mode de vie qui les broie et les relègue dans les bas-fonds de nos communautés. De ce point de vue, il est vrai qu’il n’y a pas de différences majeures entre eux et ceux qui votent LFI, les uns et les autres incarnent un refus profond du capitalisme, des mécanismes économiques et sociaux qui causent la misère du plus grand nombre. Là encore, rien de bien neuf. Le fascisme est l’ultime rempart du capitalisme quand les structures traditionnelles de son pouvoir sont mises en question. 

Louis pense, à la suite de Marx, que la lutte des classes est le ressort profond des régimes politiques. Il est convaincu que ceux qui espèrent un front républicain sont pour la continuation du système, sans rien en changer de fondamental. Les classes dominées vivent une situation inacceptable et l’expriment dans leur vote. Elles devraient toutefois se demander pourquoi les sondages, quand ils indiquent la possible victoire du RN, s’accompagnent d’une remontée des valeurs boursières et pourquoi le patronat soutient, plus ou moins explicitement, le RN contre les forces de gauche et, en particulier, contre LFI. 




À propos de l'auteur(e) :

Stéphane Haslé

Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.


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